Pendant la pandémie, elles ont rempli leur mission. Et même plus. En distribuant les prêts garantis par l’État, elles s’exposent aux faillites attendues.
En 2008, la faillite du système bancaire créa un effondrement du crédit et provoqua un risque de déflation mondiale. Il ne fut conjuré que par un plan de sauvetage planétaire qui mobilisa plus de 5 000 milliards de dollars et par un programme de relance qui creusa la dette publique des pays développés à hauteur d’environ 20 % de leur PIB. Le krach bancaire créa alors une crise des risques souverains qui manqua de faire éclater la zone euro.
Moins de douze ans plus tard, les pays développés se trouvent à nouveau contraints d’engager 20 % de leur richesse sous forme de dette publique pour éviter l’écroulement de leurs économies. Mais la situation est inversée. Ce sont les pouvoirs publics qui, en décidant de confiner plus de la moitié de la population mondiale pour enrayer l’épidémie de Covid-19, ont créé la récession la plus brutale depuis les années 1930. Les banques, qui étaient le problème en 2008, sont du côté des solutions en 2020. Elles ont contribué à éviter la dislocation de l’économie et de la société durant le confinement. Elles sont devenues l’instrument privilégié des politiques de soutien aux entreprises et de relance de l’investissement. Mais elles se trouvent par là même très exposées par les États, qui leur transfèrent une partie des risques liés aux crédits ouverts à des entreprises promises à la faillite.
Pendant le confinement, les banques ont été à la hauteur de leur mission, contrairement à nombre d’administrations. En maintenant l’ouverture de 90 % des agences, en assurant la continuité des paiements, en alimentant la trésorerie des entreprises, en distribuant les crédits garantis par l’État – en France à hauteur de 101 milliards d’euros au 12 juin avec un taux de refus limité à 2,6 % –, elles ont évité que le choc provoqué par le krach sanitaire ne se transforme en crise financière. Simultanément, les banques ont accéléré les innovations pour accompagner l’envolée des transactions numériques et des paiements sans contact. Enfin, contrairement à la santé publique, l’infrastructure financière a fait la preuve de sa résilience : les chambres de compensation n’ont jamais été mises en défaut ; la liquidité des marchés a été garantie, y compris lors de leur chute ; mieux, alors que les tensions internationales explosaient, les banques centrales ont renforcé leur coopération, étendu leurs accords de swaps et prévenu toute interruption du marché des changes.
Le rôle des banques apparaît tout aussi crucial dans la réussite de la relance. Le redémarrage de l’économie dépend en effet de la reprise du crédit. Du côté des ménages, qui ont accumulé près de 100 milliards d’euros d’épargne forcée, elle conditionne le renouveau de la consommation et l’avenir du marché immobilier. Du côté des entreprises, elle est seule à même de limiter la chute de l’investissement, estimée à 40 %, qui pourrait marquer le déclassement définitif de l’appareil productif français. Surtout, les banques seront déterminantes pour permettre aux États et à l’Union européenne d’effectuer les formidables levées de dette nécessaires au financement des plans de relance, à l’image de la France, dont le secteur public devra souscrire de 700 à 800 milliards d’euros d’emprunts en 2020.
Pour l’heure, les banques ont tenu, tout en acquittant un prix élevé à l’épidémie puisque leur valeur a été divisée par deux en moyenne depuis 2019. Mais elles font face à un double mur : les deux vagues de faillites d’entreprises attendues à l’automne 2020 puis en début de 2021 ; le risque de non-remboursement des prêts garantis par l’État – dont elles supporteront au minimum 10 % des pertes.
Les banques bénéficient du soutien de la BCE, qui vient d’ouvrir une enveloppe de 1 000 à 1 500 milliards d’euros de prêts à long terme à un taux de – 1 % afin de leur permettre de reconstituer leurs marges. Mais la question du traitement des pertes massives attendues sur les crédits garantis n’est pas tranchée. Les États sont prêts à tout – y compris à démanteler l’arsenal réglementaire mis en place à partir de 2009 – pour transférer une partie notable des risques vers les banques. Or elles ne pourront pas le supporter, notamment en Europe, où elles ont été laminées par les taux négatifs ainsi que par la multiplication des contraintes réglementaires, des impôts et des amendes.
La crise historique déclenchée par la pandémie transforme profondément la vision des banques héritée du krach de 2008.
- Non seulement l’intermédiation financière n’est pas morte, mais les banques ont montré qu’elles constituaient un service essentiel dont la continuité est vitale pour la résilience des nations.
- L’innovation financière n’est pas le monopole des start-up et peut être développée et diffusée par les institutions financières traditionnelles.
- Les banques ne sont pas seulement le principal relais de la politique monétaire mais aussi celui des stratégies de relance et de soutien aux entreprises quand l’économie réelle s’effondre.
- Pour autant, elles ne peuvent ni ne doivent supporter le coût des mesures de soutien aux entreprises décidées par les États.
- Pour la défense de sa souveraineté comme pour la relance de son économie autour de la révolution numérique, de la transition écologique et de la sécurité, l’Europe doit faire figurer la banque parmi les secteurs stratégiques à protéger et accélérer la création de l’union bancaire.
(Article paru dans Le Point du 25 juin)